Sophie Arnould voit le jour en 1740 dans une famille bourgeoise et reçoit une éducation soignée. A l’âge de 12 ans, elle émerveille l’assemblée en chantant dans un couvent. La Reine veut l’entendre et Madame de Pompadour la réclame.
A 18 ans, elle reçoit le Brevet de Demoiselle de la Musique de Chambre de la Souveraine. Le Chevalier de Malézieux, riche sexagénaire demande Sophie en mariage. Les rentes du Chevalier plaisent assez à la mère, mais Sophie, qui a déjà de l’esprit, réplique : “Je fais ce mariage à condition que mon mari commence par être cul-de-jatte et finisse par être Roi”. Entre-temps, les Arnould, ruinés, étaient devenus hôteliers. Un jour, à l’hôtel de Lisieux, vient loger un beau jeune homme qui se présente sous le nom de Dorval. Il enleve Sophie et écrit au père une lettre signée Louis Comte de Brancas, dans laquelle il promet d’épouser sa fille… quand il sera veuf !
A Paris, Sophie Arnould prend des leçons de Mademoiselle Fel pour le chant, de Mademoiselle Clairon pour la diction, et débute à l’Opéra. “Elle a renouvelé la déclamation lyrique par l’accent de la passion, par l’émotion, par l’attendrissement… Sa voix est une âme” (le Mercure de France, août 1758). Elle remporte des triomphes dans “Les Amours des Dieux” et dans “Enée et Lavinie”. “Elle est la Reine de l’Opéra ; c’est l’interprète la plus naturelle, la plus onctueuse, la plus tendre qui ait jamais paru sur la scène” (Collé). “La seule actrice française qui parlât à mes yeux et à mon coeur” (Garrick).
Un matin de 1761, à la suite d’une brouille, Lauraguais quitte Paris. Sophie met aussitôt les bijoux et les enfants qu’il lui avait donnés dans un carrosse, et envoie le tout à l’Hôtel de Lauraguais. En réponse, le Comte lui fait parvenir un contrat de deux mille écus de rente viagère.
Malgré ses succès, elle a des dettes. En 1759, on vient saisir son mobilier :
– Je n’ai pas de diamants, dit-elle, parce que Monsieur de Lauraguais a une femme et des enfants.
– Quittez-le!
– Cela ne se peut, répond-elle, il a du goût pour moi et j’en ai pour lui”. (Diderot, Correspondance)
Elle quitte Lauraguais pour Bertin, riche trésorier qui paye ses dettes. Lauraguais rembourse à Bertin tous les frais qu’il a pu faire afin de reprendre sa place. Mais désormais, combien de scènes de jalousie entre les deux amants, de disputes, de fâcheries, de raccommodements, et de certificats de médecins, quand il ne plaît pas à Sophie de faire son service à l’Opéra.
Sophie a l’ambition d’aller dans les salons. Elle y parvient, et reçoit chez elle le Prince d’Hénin, le Vicomte de Ségur, et met tout ce monde à son aise en foulant l’étiquette de la parole.
Elle reçoit deux fois par semaine, le jeudi étant réservé aux femmes, une innovation.
Dans son salon siégent Voltaire, Chaptal, Diderot, Lucien Bonaparte, Beaumarchais, Benjamin Franklin, Gluck ; Duclos le publiciste, Barras , l’architecte François-Joseph Bélanger -qui deviendra son amant, et restera un ami fidèle et le consolateur des derniers jours -, Rousseau, D’Alembert et autres philosophes, scientifiques ou lettrés. On compare son salon à l’Ecole d’Aspasie.
Pendant vingt ans à l’Opéra, trente ans à la Cour, Sophie Arnould personnifiera toutes les héroïnes du répertoire lyrique. Une guerre est déclarée contre elle dès 1766. Elle se rit des insultes. Les mots de Sophie voltigent partout. On lui dit : ” L’esprit court les rues”. “C’est en effet un bruit que les sots font courir” réplique-t-elle. On se la dispute. Elle vit dans le tapage et la gloire.
Elle se retire de la scène publique en 1788. Elle fuit les orages de la Révolution, et se réfugie au Prieuré de Luzarches. Elle devient presque paysanne. Sans le sou, malade, elle peut encore compter sur ses amis Dorval et Bélanger. Ce dernier écrit au ministre de l’Intérieur : “Cette malheureuse femme de qui Gluck disait : “Sans le charme des accents et de la déclamation de Mademoiselle Arnould, jamais mon Iphigénie ne serait entrée en France;”, cette infortunée se trouve aujourd’hui privée même des moyens de prolonger sa vie, faute de secours.” Elle conserve gaîté et vivacité d’esprit : “Je suis trop vieille pour l’amour et trop jeune pour la mort!”. Au prêtre qui lui donnera les derniers sacrements, elle déclare : « Il me sera beaucoup pardonné car beaucoup aimé. » Elle s’éteindra le 22 octobre 1802.
Il existe un opéra en un acte de Gabriel Pierné (1863-1937), intitulé Sophie Arnould où le Mystère de la cantatrice, qui raconte la dernière rencontre de Sophie avec Dorval alors qu’elle vit retirée à Luzarches. Cet opéra a été chanté en octobre 2006 à la péniche Opéra par Catherine Dune, Eva Gruber, Didier Henry et Nicolas Fehrenbach.
Isabelle Joz-Roland, Une femme libre, Paris, Editions France-Empire, 2007, 298 p