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ConcertoNet

Les bonheurs de Sophie

Paris
Péniche opéra
09/18/2006 –  et 22, 23, 28, 29, 30 septembre, 5, 6, 7*, 12, 13, 14, 19, 20, 21, 26, 27, 28 octobre 2006
Tom Johnson : Door (création française)
Gabriel Pierné : Sophie Arnould

Catherine Dune (Sophie Arnould), Didier Henry (Dorval), Eva Gruber (Babet), Nicolas Fehrenbach (piano)
A la fin du XVIIIe siècle, une cantatrice se souvient de sa gloire passée, en attendant son amant: Capriccio? Non. Un comte empressé qui remet une fleur à une certaine Sophie:Le Chevalier à la rose? Non plus, et ce n’est pas d’un opéra de Strauss qu’il s’agit, mais de Sophie Arnould(1927), comédie lyrique en un acte de Gabriel Pierné, dans une production d’ArteMuse et de Maguelone, l’éditeur de disques spécialisé dans la mélodie française rare, que la Péniche Opéra accueille pour dix-huit représentations du 18 septembre au 28 octobre sous le titre Le Mystère de la cantatrice.

Grande figure de l’art lyrique, Sophie Arnould (1740-1802) domina l’Opéra de Paris durant une vingtaine d’années, assurant notamment la création d’Iphigénie en Aulide de Gluck ou des Paladins de Rameau, ainsi que la reprise deCastor et Pollux. Ses contemporains louaient en elle un soprano doux et expressif plus que puissant, mais aussi des talents d’actrice et un humour mordant, qu’elle faisait valoir en la compagnie de Voltaire, Rousseau (dont elle reprit Le Devin du village), Beaumarchais, Diderot ou B. Franklin, tandis que Greuze réalisait son portrait et Houdon son buste. Cela étant, davantage que la Sophie caustique et mondaine, le livret doux-amer de Gabriel Nigond, qui situe l’action sous la Révolution, met en valeur la tendresse de la mère et les intermittences du cœur de l’amante.

Très exigeante pour les voix et d’une belle richesse harmonique, tour à tour vive et délicate, la partition ne se cantonne pas au registre frivole ou même léger, mais recourt à une vaste palette d’expressions, toujours au service du texte et de l’intrigue. Même si Nicolas Fehrenbach s’escrime brillamment à défendre la réduction pour piano, quoique parfois trop fort, conduisant les chanteurs à forcer inutilement et dangereusement la voix dans le cadre intime de la Péniche Opéra, on se prend à rêver de ce que donnerait la version originale, connaissant les qualités d’orchestrateur de Pierné.

En ne recourant que parcimonieusement à la citation (notamment Le Devin du village) ou au pastiche, la musique n’en dispense pas moins la nostalgie d’un double regard sur un temps qui n’est plus: celui de Sophie sur sa carrière, mais aussi celui de Pierné sur un Ancien régime idéalisé, avec clavecin et colin-maillard, un âge d’or qu’il avait déjà mis en scène quelques années plus tôt dans ce qui est sans doute son chef-d’œuvre, le ballet Cydalise et le Chèvre-pied.

Redoutablement exposés mais très soucieux de la clarté de la diction, les chanteurs se tirent assez bien de l’exercice, même si tous les aigus de Catherine Dune (Sophie) ne passent pas et si le timbre de Didier Henry (Dorval) n’est pas régulier, tandis qu’Eva Gruber s’impose pleinement dans le rôle de la camériste Babet. C’est à Catherine Dune et à Didier Henry que l’on doit également la scénographie, les décors et les costumes, exploitant au maximum un cadre exigu, dans lequel le piano, également censé incarner le clavecin de la cantatrice, s’intègre naturellement, et usant de quelques accessoires judicieusement choisis ou prescrits par le livret (miroir, mannequin, bergère, malle en osier, …).

Avant de pouvoir goûter à ces cinquante minutes de bonheur, la patience des spectateurs est préalablement mise à rude épreuve près de vingt minutes durant. Car le lever de rideau, pour le moins inattendu, donne l’impression que Marivaux est introduit par Ionesco (et un long changement de plateau), tant il est difficile de ne pas songer à … La Cantatrice chauve avec cette création française de Door (1978) de Tom Johnson, compositeur américain né en 1939 et établi à Paris depuis 1983: les personnages s’y interrogent en effet tout aussi longuement que dans la pièce de Ionesco sur la nécessité d’ouvrir la porte lorsque quelqu’un a sonné. Point de capitaine des pompiers toutefois, car au fil d’un texte minimaliste et absurde, à peine intelligible à force d’être délivré syllabe par syllabe et accompagné de façon particulièrement décantée par piano, aucune des deux chanteuses, baillant l’une après l’autre en de sinueuses vocalises, ne va finalement se décider à ouvrir.

On saluera toutefois l’astucieuse transposition des esquisses de personnages et de la situation atemporelle qu’offre cet opéra de chambre, puisque ce sont ici Sophie et Babet, qui, vingt ans avant la comédie de Pierné, à l’issue d’une représentation dont on entend les applaudissements conclusifs, se refusent à donner suite aux coups de plus en plus insistants frappés à la porte: En attendant… Dorval?

 

Simon Corley

 

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