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Anaclase

La voix humaine – L’heure espagnole
opéras de Francis Poulenc et Maurice Ravel

Un curieux assortiment et une belle réussite sur scène que ces deux courts opéras français,L’heure espagnole de Maurice Ravel et La voix humaine de Francis Poulenc, très originaux et relativement jeunes – respectivement à peine centenaire, car créé en 1911, et encore dans la cinquantaine, puisque né en 1948. Avec cette nouvelle production qu’on espère bien voir voyager, l’Opéra de Tours fait encore découvrir des œuvres et des interprètes plutôt rares, aux charmes prometteurs.

De cette double affiche alléchante, on attendait surtout deux personnages féminins renversants, l’un brisé au téléphone, suivant la pièce magistrale de Cocteau (datant de 1930), l’autre piquant, tout libéré au bout du vaudeville pondu par Franc-Nohain au début du siècle. Sans tomber dans l’obsession de la performance ni dans le pathétique, le soprano Anne-Sophie Duprels se montre une excellente interprète de l’esprit original de La voix humaine. Dans l’art délicat du monologue, parole simple mais ponctuée de cris et de chants, elle semble rendre justice à Jean Cocteau dans le livret duquel la langue et le ton résolument naturels restent très intéressants en 2015 (et l’on rêve à Barbara Hannigan au Palais Garnier en novembre prochain…).

Toujours aussi déconcertante (surtout peut-être dans un cadre historique comme le Grand Théâtre de Tours, de style Second Empire), l’œuvre ne paraît pas fonctionner comme un opéra. Mais elle s’avère certainement une expérience exceptionnelle, vouée avant tout à la scène (et à la musique vivante ensuite, en particulier). Ici, le décor captive, sans aucun doute (bien que peut-être un peu trop central) ; il consiste à hisser un immense matelas sur un haut sommier placé légèrement de biais et bordé de longues cordes tombantes droit du plafond. Grâce aussi à un jeu d’éclairages subtils, Anne-Sophie Duprels paraît évoluer parfois dans une cage, ou le plus souvent comme dans un rêve immense mais cruellement fini, qui rend plus réel encore le drame intérieur de l’amoureuse, pendue aux lignes de téléphone comme à d’ultimes espoirs. En résumé, c’est le fort bon compte rendu du malheur d’une femme que signe une équipe de mise en scène presque toute féminine : Catherine Dune à la direction, Elsa Ejchenrand aux décors, Élisabeth de Sauverzac aux costumes et Marc Delamézière aux lumières.

Passé l’entracte, L’heure espagnole sonne, pour le grand plaisir des mélomanes qui se régalent notamment des géniales surprises « pétaradantes » imaginées par Ravel. En effet, l’autre beau défi de la soirée revient à l’orchestre, chargé de faire osciller la musique du tragique appuyé chez Poulenc au comique le plus fin de Ravel (dans cet ordre de présentation… pourquoi pas l’inverse ? Quel serait le bon ? La question demeure…). Serré dans la petite fosse, l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours brille, de fait, par sa cohésion et sa belle gourmandise, notamment en passant du coq à l’âne avec brio, par exemple à l’intérieur, tantôt vif, tantôt tendre, de La voix humaine. Très changeante aussi, la musique de L’heure espagnole, offerte avec un plaisir sensible et à la faveur d’un spectacle fort vivant, réserve de formidables effets comiques, tout à la fois extrêmement modernes, rapides et gracieux.

Les chanteurs, pimpants, réussissent chacun à concilier voix claire et jeu de scène drôle, tout particulièrement le ténor Florian Laconi, truculent Gonzalvo, sans cabotiner. Plus ronflant, mais en cela bien fidèle au rôle du banquier, est le baryton Didier Henry et plus impressionnant le baryton Alexandre Duhamel, au superbe costume de lutteur de foire ou de docker (voilà l’homme fort). Le naturellement discret Torquemada, bien tenu par le ténor Antoine Normand, a la particularité d’apparaître dans un coin de la scène, en observateur du dénouement de l’intrigue (prévisible à souhait). Ici la mise en scène fait un choix original… Dans l’ensemble, elle semble manquer de moyens pour recréer la boutique de l’horloger, le comique des rencontres et la saveur d’un bon vaudeville. Ainsi le rôle féminin, au gros potentiel de vedette du spectacle, ne mousse-t-il guère. Comme confinée à l’avant scène, le mezzo-soprano Aude Extremo paraît trop guindée, puis finalement vulgaire. C’est bien dommage, tant la jeune chanteuse fait montre d’un timbre et d’une assurance remarquables qui donnent hâte de la retrouver, à Tours (elle y fut Maddalena dans Rigoletto en 2012) ou ailleurs.

Enfin, notons que sur un registre beaucoup plus grave, en ouverture de soirée, le chef Jean-Yves Ossonce, également directeur de l’Opéra de Tours, n’a pas manqué de rendre hommage à Jean Germain. Une minute de silence fut observée en la mémoire de l’ancien maire de Tours. Son suicide, quelques jours plus tôt, a laissé la ville sous le choc.

 


François Cavaillès – 10 Avril 2015

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